L'angoisse du confinement
publié le 27/04/2020
Le confinement, tout le monde a compris en quoi ça consistait. Qu’est-ce que l’angoisse et pourquoi pouvons-nous être angoissés pendant que nous sommes confinés ?
Ce sont ces deux aspects que nous nous proposons d’aborder, pour in fine voir quelles conclusions, quelles modalités pratiques nous pouvons en tirer.
Qu’est-ce que l’angoisse ?
C’est de la libido non investie. Soit, mais alors qu’est-ce que la libido ? La libido c’est notre énergie psychique, qui nous donne l’envie de faire, ce qui ne suffit pas, car encore faut-il avoir la force de le faire. La libido, c’est cette énergie qui nous anime, qui nous pousse, qui nous fait avancer, 24 heures sur 24, de notre naissance à notre mort. Même la nuit nous continuons à produire cette énergie, de la même manière que nos constantes vitales ne s’arrêtent pas. Que fait-on de cette libido pendant notre sommeil ? Nous l’investissons dans le rêve, affirmation osée puisqu’on ne la trouve pas dans les ouvrages de psychanalyse. Le désir sexuel n’est, rappelons-le, qu’une partie de la libido.
L’angoisse c’est donc une sorte de libido « flottante » qui ne se lie à aucune composante psychique. C’est ainsi que Freud la définit dans une lettre à Fliess. On pourrait l’interpréter comme un vide, ou pour le moins un manque, un manque de liaison. Ne pas savoir n’est-il pas très angoissant ? Pour prendre un exemple qui d’ailleurs tient plutôt de la métaphore, comparons l’énergie psychique à l’énergie délivrée par une batterie. Si le courant qu’elle produit n’est pas utilisé, s’il n’alimente rien, moteur, ampoule, appareil électrique, mais revient tel quel à la batterie, sans chute de potentiel, ça produit un court-circuit. Pour éviter le court-circuit, la libido non utilisée va transformer l’énergie produite en angoisse. On sait que le bon équilibre psychique résulte d’un niveau de tension psychique le plus bas possible et qu’il est régi par les trois lois que sont le principe de plaisir, le principe de réalité, le principe de constance. C’est dans ses trois principes économiques que se dissipe la libido comme le courant électrique se consomme dans différents appareils. La libido non investie, c’est l’échec de ces trois principes. Il existe dans ce cas un mécanisme de secours pour préserver le système de la surtension, mécanisme inconscient à déclenchement automatique, l’angoisse, qui va se lier à l’énergie non utilisée. L’angoisse, c’est en quelque sorte un médicament qui vient corriger ou empêcher l’apparition d’un dysfonctionnement. En psychanalyse, on dira plutôt défense que médicament. Mais pour rester dans la métaphore, constatons qu’hélas, comme tout médicament, l’angoisse à ses effets adverses et un excès d’angoisse, tout comme un surdosage médicamenteux, est très dommageable.
Pourquoi le confinement est-il source d’angoisse ?
On l’aura compris, le confinement est une excellente machine à fabriquer de la libido non investie, donc de l’angoisse. Il faut passer d’un rythme de vie assez dense à un rythme de vie ralenti. Passer d’un espace d’expression vaste, à un espace confiné. C’est encore plus difficile pour ceux qui vivent dans des petits appartements par comparaison avec ceux qui disposent d’un jardin. Brutalement, et disons-le avec une certaine violence, notre mode de vie, nos habitudes, sont perturbées, surtout elles sont considérablement réduites, disons empêchées, alors que nous ne savons pas, nous ne pouvons pas régler la machine à produire de l’énergie.
Ce déséquilibre va donc produire beaucoup d’angoisse. Le propos n’est pas ici de rappeler tous les symptômes qui caractérisent la crise d’angoisse, bien connus, ni prendre en compte l’angoisse symptomatique des affections psychiatriques qui préexistaient au confinement, puisque les personnes qui souffrent de ces pathologies sont suivies par des psychiatres à qui il appartient de prendre en charge les conséquences du confinement dans leur patientèle.
Cette angoisse de circonstance va réactualiser des angoisses plus existentielles, liées à notre condition humaine. C’est d’ailleurs un peu regrettable de n’avoir qu’un seul mot pour désigner deux choses si différentes. En particulier, l’angoisse résultant du confinement va faire monter à la conscience l’angoisse de la mort. Plusieurs psychanalystes se sont attachés à mettre en exergue cette particularité. D’une façon un peu extrême, agressive, mais nécessaire pour la clarté de l’argumentation, on peut dire que le confinement, d’autant qu’il se passe dans un petit appartement, d’autant qu’il est très restrictif d’activités et de maîtrise de son destin, préfigure le confinement dans le cercueil et confronte tout un chacun à sa propre mort. Je me confine donc je ne mourrai pas, mais se confiner c’est aussi mourir un peu. Ce sujet mériterait un plus long développement, qu’on laissera aux spécialistes, pour aborder un dernier effet du confinement.
Le confinement oblige à renoncer, renoncer à son libre arbitre, d’ailleurs certains se sont demandés s’il n’était pas une atteinte aux libertés individuelles garanties par la loi. Renoncer aussi à ses activités, à son travail avec pour beaucoup une hypothèque sur leur avenir, le risque de chômage ou même de faillite. Renoncer à sa vie sociale, renoncer à son oralité, tirer un trait sur son analité : on n’est plus dans le contrôle, dans le choix mais dans l’obligation de faire. Il n’y a plus de champ des possibles mais une voie unique imposée.
Bref le confinement amène à faire des deuils. De l’enseignement psychanalytique reçu j’ai retenu cette phrase que je considère comme la chose la plus importante qui m’ait été dite : « Le secret du bonheur, c’est la capacité à faire des deuils » d’autant qu’il avait été ajouté : « La vie n’est jamais qu’une succession de deuils. » Si donc notre vie est d’aller de deuil en deuil et ne pas arriver pas à les terminer, l’affaire est plutôt mal engagée.
Donc le confinement est source d’angoisse, et facteur aggravant, oblige à faire des deuils. Ce ne sont pas certes des grands deuils, des pertes irrémédiables et définitives, mais on peut évoquer dans le non-respect du confinement le refus de faire ces « petits » deuils.
Conclusions
La prise en charge des personnes appelant dans le cadre de l’opération bénévole mise en place par la Fédération Nationale de Psychanalyse m’amène à orienter mon approche dans les deux axes évoqués. Comme l’angoisse est de la libido non investie, flottante, tenter d’orienter cette libido vers de la sublimation, puisque cette dernière quant à elle, c’est précisément de la libido détachée de son objet, ici l’angoisse et réinvestie dans des activités valorisantes. Second volet, mettre en œuvre les processus psychothérapiques utilisés pour avancer dans un travail de deuil.
Mais bien sûr chaque thérapeute prendra en charge selon son expérience personnelle.
Nous n’abordons pas ici l’angoisse des personnels soignants, très présente et très éprouvante. Ils ne sont pas confinés, mais au contraire en première ligne, mais quelque part les mécanismes en jeu sont semblables. Ils vont produire beaucoup de libido pour arriver à mener à bien leur mission mais une partie de cette libido ne trouvera pas à s’investir à cause des conditions de travail très difficiles, de la pénurie de matériels et médicaments, de l’épuisement physique. Le travail de deuil à faire va être très important car aucun personnel de santé ne reste indifférent à la mort de la personne qu’il soignait. S’y ajoute la culpabilité anticipée d’avoir à faire le choix de qui sera soigné car on ne pourra pas les soigner tous si l’épidémie devient incontrôlable. C’est ce qu’évoquent en premier les professionnels qui contactent un thérapeute.
Comment valoriser des personnes qui donnent le maximum ? En les applaudissant tous les soirs à 20 heures.