Formidables
publié le 27/04/2020
Ils sont formidables. Le savaient-ils ? Pour la plupart, ils en doutaient, étaient gênés quand on le leur disait.
« Tu étais formidable, j'étais fort minable
Nous étions formidables » chante Stromae. Si cette chanson a connu un tel succès c’est qu’elle a dit tout haut ce qu’on ne s’autorisait même pas à murmurer : je me jugeais minable alors que nous sommes formidables. Le refrain de cette chanson est un magnifique exemple de renarcissisation et c’est pourquoi on a entendu tant de gens le reprendre, le faire leur.
De tout temps, les petites gens, les obscurs, ceux du peuple, ont montré leur capacité à transcender les difficultés, à répondre présents avant même qu’on le leur demande. On le voit avec le covid 19, avec l’abnégation des professionnels de santé, avec l’engagement sans faille de tous ceux et celles qui œuvrent pour que notre société ne s’écroule pas. La liste est longue et ne se limite pas aux policiers et gendarmes, aux pompiers, aux personnels des commerces d’alimentation, aux chauffeurs routiers, aux éboueurs, et tant et tant d’autres.
On l’a vu avec la catastrophe AZF de Toulouse où les médecins généralistes de la ville sont venus apporter spontanément leur aide aux services de secours. On le voit lors de toutes les catastrophes, climatiques, accidentelles, où ceux qui ont été épargnés viennent aux secours des victimes, font preuve de générosité, d’empathie et n’hésitent pas à se retrousser les manches pour aider ceux qui sont dans la peine, dans la difficulté. On le voit lors d’accidents tragiques, de pertes cruelles, avec des anonymes qui viennent sur place se recueillir, déposer une fleur, ou même un bouquet. C’est le propre des gens du peuple de faire honneur à l’humanité, et ils sont infiniment plus nombreux que ceux qui commettent des incivilités, restent indifférents aux malheurs des autres ; pourtant c’est de ceux là que l’on parle le plus.
Le mérite de ce petit peuple est d’autant plus grand que ceux qui les dirigent ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux qui nous assaillent. Il est vrai que plus on monte dans l’échelle des responsabilités et plus sont difficiles à prendre les bonnes décisions, à maîtriser tous les paramètres qui entrent dans l’équation à résoudre. Mais la difficulté à maîtriser la situation n’est pas le seul élément à prendre en compte. Pour ces hauts responsables, l’estime de soi est beaucoup plus exigeante, plus prégnante que pour « nous z’otres » pour parler comme des pieds-noirs. Ces décideurs doivent être à la hauteur de leurs hautes responsabilités et les justifier, ce qui amène à une inversion des relations entre le surmoi et le moi. Ce n’est plus le surmoi qui contrôle le moi et lui dicte les règles de bonne conduite, mais ce dernier qui façonne le surmoi et lui impose l’acceptation de règles qui s’écartent peu ou prou de la « bonne morale ». La guerre de 14-18 en est un dramatique exemple. Des généraux, des commandants de formation ont lancé des attaques limitées, sans aucun intérêt militaire, pour meubler le compte-rendu journalier, pour prouver qu’ils ne subissaient pas. Et leurs soldats ont fait leur devoir, pour la patrie, pour l’honneur, pour leurs familles, toutes vertus profondément ancrées dans leur surmoi, et sont morts pour rien. Ils en ont pris conscience et pourtant, ils recommencèrent inlassablement à monter à l’assaut. Il aura fallu attendre 1917 pour que quelques-uns se mutinent, et pas forcément par lâcheté, par peur de la mort, comme ce poilu, condamné à mort et exécuté parce qu’il a refusé qu’on lui donne des vêtements tâchés de sang, mais exigeait un pantalon propre.
Oui, ils sont formidables, et il y a là pour la psychanalyse un champ d’étude particulièrement intéressant. Le soir en applaudissant ceux qui les protègent, ils s'applaudissent aussi et le méritent bien. Un autre exemple de renarcissisation.