Symbolique du paiement en psychanalyse
publié le 30/04/2020
Principe légal du paiement.
En droit civil, le paiement résulte d’un contrat, écrit ou tacite, dans lequel l’un s’engage à faire et l’autre en contrepartie à payer le prix convenu. Les droits et obligations de chacun sont précisés et tous les actes de service relèvent des dispositions du Code civil.
Le paiement de la séance de psychanalyse, à l’acte ou au forfait, relève juridiquement de ce principe. Mais pour la psychanalyse, le paiement répond à une symbolique qui dépasse très largement le cadre légal. Quand un psychanalyste demande le paiement d’une séance qui n’a pas eu lieu, ce n’est pas parce que la loi l’y autorise, mais parce qu’en psychanalyse, le paiement a une signification symbolique très forte et participe à la thérapie. Cependant, à trop se focaliser sur la signification psychanalytique du paiement, certains psychanalystes, quand ils fixent le cadre ont des prétentions que la loi n’autorise pas. Par exemple, il n’est pas possible d’exiger qu’un patient prenne ses vacances aux mêmes dates que le psychanalyste et paie les séances manquées s’il prend les siennes à une date différente. Nous verrons infra qu’il y a une logique dans cette exigence du psychanalyste, mais elle est hors la loi. La loi n’est pas faite pour être logique, mais respectée, c’est comme ça et pas autrement. Le « c’est comme ça et pas autrement » de Freud quand il précisait le cadre psychanalytique, s’applique aussi au psychanalyste dans le cadre des lois.
Le cadre.
Lors du premier entretien, la personne venue voir le psychanalyste va commencer à exposer sa problématique et il va se produire un transfert vers le thérapeute. C’est-à-dire que la personne va se sentir en confiance, va désirer continuer avec ce thérapeute. Au transfert de cette personne va répondre le contre-transfert du psychanalyste. Désire-t-il prendre cette personne en charge et lui consacrer désormais et régulièrement une partie de son temps ? Si le contre-transfert ne se fait pas, le psychanalyste le dira, avec tact, et conseillera un thérapeute qui sera plus à même d’accompagner la personne dans sa démarche thérapeutique.
Si le psychanalyste souhaite continuer avec cette personne, il va préciser le « cadre », moment très important, car il va définir l’ensemble des relations futures entre l’analysant (la personne en demande de cure) et l’analyste. Dans ce cadre il y aura le négocié, ce sur quoi on se met d’accord, en particulier le rythme des séances, et le « c’est comme ça et pas autrement » dont le paiement, les règles de distanciation sociale. C’est l’obligation de payer les séances manquées qui souvent provoque une réaction vive et le refus de la personne. C’est aussi rarement une cause de fin de relation. La personne dit son désaccord, mais viendra à la prochaine séance. C’est que le refus du paiement va bien au-delà d’un problème d’argent et va donner des indices au psychanalyste sur les résistances de son patient. C’est ainsi qu’une psychanalyste exigeant le paiement d’une séance manquée vaincra une résistance qui faisait un discours répétitif qui n’avançait plus, en disant : « Est-ce que comme votre père, je veux vous soutirer de l’argent ? »
Ce que coûte le paiement à l’analysant.
La cure psychanalytique est un contrat au sens juridique du terme, mais surtout un contrat éthique qui repose sur une confiance réciproque. Une bonne pratique veut que le psychanalyste réserve une heure fixe à jour fixe à son patient. Cela devient en somme une location, comme on loue une heure à jour fixe dans un cabinet thérapeutique ou un bureau de services. Dès lors qu’il s’agit d’une location, que cette heure est réservée nominativement à un patient et ne sera pas utilisée par le psychanalyste pour autre chose que recevoir cette personne, certains psychanalystes considèrent que le paiement est dû même si la personne n’utilise pas cette heure. Partir en vacances et donc ne pas occuper le logement pendant leur durée n’est pas un motif pour ne pas payer son loyer. Idem en psychanalyse disent-ils.
L’argent favorise la parole.
Cependant, cette vision comptable n’est pas ce qui motive cette approche. Le paiement, surtout en espèces, est un élément de libération de la parole. C’est pourquoi il doit être fait en début de séance, n’est pas ramassé et reste visible. À la fin de la séance, le psychanalyste ramasse l’argent en formulant des remerciements et nous verrons, au chapitre suivant, que ce n’est pas qu’une formule de politesse, mais bien plus, « Car la parole n’est qu’échange : c’est un mode, des plus fondamentaux, de l’échange et le paiement la spécifie comme acte, quelle que soit la « nature » de ce paiement. »(1) L’angoisse de la pulsion de mort est inhérente à la condition humaine et un des buts de la psychanalyse, en aidant à la libération de la parole, est de la diminuer. Mais cela a un prix ce qui fit dire à Lacan : « Sublimez tout ce que vous voudrez, il faut le payer avec quelque chose: ce quelque chose s’appelle la jouissance. Cette opération mystique, je la paie avec une livre de chair » en faisant allusion à Antonio, dans le Marchand de Venise de Shakespeare, qui doit payer la dette contractée avec une livre de sa chair.
La castration symbolique.
Il doit en coûter quelque chose à l’analysant disait Freud, une perte d’argent, une livre de chair pour Lacan, c’est-à-dire un renoncement. C’est pourquoi, comme le recommandait Dolto, un enfant en psychanalyse doit donner en début de séance quelque chose qui lui appartient, un objet, un caillou, un cent de son argent de poche, au minimum un dessin qu’il a fait. Cette castration est préparatrice à d’autres que le psychanalyste sera amené à pratiquer dans le décours de la thérapie ; « Je lui enlèverai jusqu’à sa dernière illusion » disait Lacan.
Une autre fonction du paiement, également castratrice, est de ramener au réel. La parole libérée pendant la cure touche au symbolique en mettant du sens sur ce qui jusqu’à présent n’en avait pas. Mais le réel ne doit pas être perdu de vue et payer replonge dans le réel : voir son argent sur la table pendant la séance concourt à rappeler le réel.
Ce que rapporte le paiement à l'analysant.
Payer c'est participer à sa cure.
Payer, et surtout payer en espèces, montre l’intérêt, la participation active du patient à sa cure. Le fait même de préparer le paiement en le tirant du porte-monnaie pour le réserver à la séance suivante, ou d’aller avant la séance retirer l’argent dans un distributeur, prépare cette séance, fait désirer ce moment de rencontre avec son thérapeute.
Le psychanalyste paye de ses mots par ses interprétations, de sa personne par le transfert et de ce qu’il a de plus intime dans la cure, selon René Lew (1). En échange de son argent, l’analysant ressort riche de ce que lui a rapporté la séance de cure. « Le paiement a pour avantage de moduler la relation analytique, il permet d’inverser cette relation de dépendance ; sous cet aspect, c’est l’analyste qui dépend du patient », pour Alain Gibeault(2)
Payer c'est se sécuriser.
Nous l’avons constaté lors de l’opération bénévole de la Fédération Nationale de Psychanalyse au moment de la crise sanitaire du coronavirus. Une personne prend contact pour faire part de ses difficultés en cette période de confinement, rappelle le lendemain et le surlendemain, un transfert se met en place. Puis elle envoie un message sur messenger pour dire qu’elle ne continuera pas, car la gratuité la rend redevable, dépendante du thérapeute, ce qui la met très mal à l’aise. Cependant elle demandera au thérapeute d’accepter de la ranger dans ses amis sur sa page Facebook.
Le paiement régulier et la régularité des séances telles que le cadre les a définis, contribuent à la sérénité de l’analysant en définissant le rôle et la place du chacun. C’est l’analysant qui conduit l’analyse, le psychanalyste n’étant là que pour le guider, lui ouvrir le champ des possibles. Par le paiement l’analyste devient redevable d’un service à son analysant et c’est pourquoi il le remercie à la fin de la séance quand il ramasse l’argent. « Donner de l’argent c’est une barrière contre la toute-puissance du thérapeute » remarque Françoise Feder(2).
Et la gratuité ?
Beaucoup de psychanalystes modèrent leurs honoraires en fonction du niveau de revenus de leurs analysants. Peut-on, ayant soi-même des revenus confortables d’autres origines, pratiquer bénévolement la psychanalyse ? Ce serait se soustraire à tout ce que le paiement a de symbolique dans la cure, et Freud s’est montré très réticent à cette pratique : « On n’augmente pas, c’est bien connu, la valeur que le patient apporte au traitement en le proposant à trop bon compte ».
Il est bien certain que ce qui ne coûte pas cher n’a pas de valeur, sans vouloir faire un pléonasme. Il faut que cela coûte et plus la demande est forte et plus le coût doit être élevé pour y répondre. Cette vision des choses dépasse largement les honoraires à payer à un psychanalyste ou tout autre thérapeute. Les médecins l’ont bien compris, qui en fonction de leur notoriété pratiquent des dépassements d’honoraires plus ou moins élevés. Mais cela s'observe dans la plupart des domaines de la vie sociale. Une publicité restée célèbre lors de la promotion d'une nouvelle voiture, illustrait cette nécessité d'un rapport élevé qualité-prix: «Pas assez chère, mon fils.» Il s'agissait là de contrebalancer la croyance populaire que pour avoir de la valeur intrinsèque un produit doit être cher. On le voit dans notre société occidentale, par exemple avec la crise du covid 19, où certains murmurent que des thérapeutiques proposées sont systématiquement écartées au motif qu’elles ne coûtent pas assez cher. Face à cette menace terrifiante, du moins présentée comme telle par les médias, il faudra forcément que le prix à payer pour la vaincre soit à la hauteur de la menace. Psychologiquement, il est difficile d’accepter que des thérapies anciennes et peu coûteuses soient l’instrument pour répondre à une menace nouvelle et aussi angoissante, en dehors de toute théorie complotiste ou de pressions supposées du lobby pharmaceutique.
-oOOOo-
« L’instauration de l’argent dans la relation analytique me paraît poser moins de problèmes que sa suppression ». Jean-Bertrand Pontalis, auteur du Vocabulaire de la psychanalyse dans une vidéo diffusée sur Youtube.
Pour en savoir plus :
1 - https://www.cairn.info/revue-che-vuoi-1-2005-2-page-37.htm
2 - https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2013-1-page-49.htm
3 - https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2013-1-page-59.htm